Dans les Cantons de l’Est, Ligneuville sauvée de l’oubli par les truites et Monsieur Hawarden

15/07/2020

En 1977, la commune de Bellevaux-Ligneuville a fusionné avec celle de Malmédy. Les vastes forêts de sapins, de hêtres et de chênes, les pentes escarpées, les reliefs doux, les pâturages, les panoramas et les clapotis de l’Amblève attirent essentiellement les randonneurs.

 

Outre la beauté des paysages, le poisson, et plus particulièrement la truite, a contribué à forger l’image de Ligneuville. À la fin du 12e siècle, le village possédait déjà sa Confrérie des Chevaliers de la Truite. Il n’est pas exagéré de qualifier Ligneuville de berceau de l’élevage de truites. À partir de 1929, les frères Hermann et Hubert Gabriel s’adonnèrent à cette activité économique. Après la Deuxième Guerre mondiale, ils reprirent leurs activités avec le même enthousiasme et firent de leur entreprise l’une des plus importantes dans le secteur de la pisciculture. Depuis 1984, Ligneuville s’est proclamée « capitale de la truite » et organise le très populaire Festival de la Truite deux fois par an. Afin de satisfaire une curiosité d’un tout autre genre, rendez-vous au cimetière, un peu au-delà de l’église paroissiale le long de la grand-route très fréquentée reliant Saint-Vith à Malmédy. Sur l’une des pierres tombales, entourée d’une magnifique clôture en fer forgé, on peut lire : Ici repose le corps de Mlle Mériora Gillibrand en son vivant Monsieur Hawarden. Vers 1850, Monsieur Hawarden, alors âgé de 43 ans, arriva à Ligneuville. Il rejoignit la famille distinguée des Deschamps, loin d’être inconnue dans les milieux courtisans hollandais et français. En 1848, la révolution faisait rage à Paris. Manifestement, il se trouvait en plein milieu de la zone d’affrontement ; la police l’accusa de faire partie des émeutiers et le plaça en détention. Il fut libéré grâce à l’intervention de la famille Deschamps, qui avait pu prouver que Monsieur… était en fait une femme. Elle se vêtit comme un homme durant le reste de sa vie. D’après une source bien informée issue du milieu noble, le casier de Monsieur Hawarden était loin d’être vierge à Paris. Deux rivaux amoureux, manifestement bien au courant de la véritable identité de Monsieur, avaient demandé sa main et réglé le différend par un classique duel. L’issue de l’affrontement n’aurait guère plu à la demoiselle très convoitée, qui aurait abattu le malheureux survivant. Aucune trace ne permet de supposer que des poursuites judiciaires avaient été engagées, mais la situation était apparemment devenue trop dangereuse. À Ligneuville, les gens appréciaient Monsieur Hawarden, champion de la gâchette, remarquable conteur que l’on repérait souvent à des kilomètres avec Alexandre Micha, son compagnon de promenade âgé de 12 ans.

Monsieur Hawarden est décédé le 1er mars 1863. Le premier acte de décès indiquait qu’Arthur Hawarden, d’origine et de parents inconnus, était décédé à l’âge de 52 ans. Plus tard, dans le cadre de sa succession, un membre de sa famille le fit corriger sous le nom de Maria Mériora Gillibrand, 56 ans, célibataire, avec le nom des deux parents. L’auteur flamand Filip De Pillecyn, enseignant de 1926 à 1933 à Malmédy, écrivit en 1935 une nouvelle psychologique intense sur cette biographie empreinte de mélancolie, adaptée en 1968 au cinéma par Harry Kümel.